Protection Distance des Lignes Haute Tension : Principe, Zones et Téléprotection

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Contrôle Commande

Dans les réseaux de transport d’électricité, la fiabilité et la rapidité d’intervention face aux défauts (comme les courts-circuits ou les défauts à la terre) sont essentielles pour garantir la stabilité du système et la sécurité des équipements. Parmi les fonctions de protection les plus utilisées à cet effet figure la protection distance. Cet article explore en profondeur le principe de la protection distance, sa mise en œuvre, ses avantages, ses limites et son rôle dans les réseaux électriques haute tension.

1. Principe de Base des Relais de Protection Distance

Les relais de protection distance des lignes haute tension, également appelés distance relays en anglais, sont des dispositifs intelligents conçus pour détecter et localiser les défauts sur une ligne électrique en mesurant l’impédance électrique entre le point où ils sont installés (généralement une sous-station) et le lieu du défaut. Contrairement aux protections par surintensité, qui se basent uniquement sur l’amplitude du courant, les relais de protection distance exploitent une relation fondamentale : l’impédance est proportionnelle à la distance sur une ligne de transport.

Mesure de l’Impédance

L’impédance (Z) est calculée à partir de la tension (V) et du courant (I) mesurés au point de raccordement du relais, selon la formule :

Z = \frac{V}{I}

Pour une ligne de longueur  L, l’impédance spécifique par unité de longueur ( z, en \Omega/km) dépend des propriétés physiques (résistance R, réactance X) :

z = R + jX = \sqrt{R^2 + X^2} \, e^{j \arctan(X/R)}

L’impédance totale est alors :

Z_{\text{total}} = z \cdot L

Exemple : Une ligne de 100 km avec z = 0,1 + j0,3 \, \Omega/km a :

Z_{\text{total}} = (0,1 + j0,3) \cdot 100 = 10 + j30 \, \Omega

Zones de Protection

Pour garantir une détection sélective et coordonnée, les relais de protection distance des lignes haute tension divisent la ligne en plusieurs zones d’impédance, chacune associée à une action spécifique :

  • Zone 1 : Couvre généralement 80 à 85 % de la longueur de la ligne protégée. Le déclenchement est instantané (temps de réponse < 50 ms) pour isoler rapidement les défauts proches.
  • Zone 2 : Étend la protection à 100 % de la ligne, plus une partie de la ligne adjacente (souvent 20 à 50 % de la ligne suivante). Une temporisation (0,3 à 0,5 seconde) est appliquée pour coordonner avec les protections des lignes voisines.
  • Zone 3 : Sert de secours, couvrant une distance encore plus grande (parfois deux lignes consécutives). La temporisation est plus longue (1 à 2 secondes).

Plan Complexe R-X

Les relais de protection distance des lignes haute tension utilisent des zones de protection pour déterminer si l’impédance mesurée se situe dans un domaine correspondant à un défaut. Ces zones sont représentées sous forme géométrique dans le plan complexe R-X.

Relais Mho : Une Protection Circulaire

Relais Mho
Relais Mho

Le relais Mho est un type de relais de protection distance caractérisé par une zone de protection en forme de cercle dans le plan R-X. Ce cercle est centré sur l’origine et passe par le point correspondant à l’impédance de la ligne protégée.

Caractéristiques principales :

  • Angle de sensibilité : Le relais Mho est directionnel, ne se déclenchant que si le défaut se trouve dans une certaine direction par rapport au flux de puissance.
  • Auto-adaptatif : Sa zone de protection se rétrécit à faible charge et s’élargit en cas de forte charge, réduisant ainsi les risques de déclenchements intempestifs.
  • Application : Il est couramment utilisé pour la protection des lignes de transmission longue distance grâce à sa sélectivité directionnelle.

Avantages :

  • Simplicité de réglage.
  • Bonne sélectivité directionnelle.

Inconvénients :

  • Moins efficace pour les lignes présentant une forte composante résistive, comme les lignes souterraines.

Relais Quadrilatéraux : Une Protection Polyvalente

Relais Quadrilatéraux
Relais Quadrilatéraux

Le relais quadrilatéral définit sa zone de protection sous la forme d’un polygone (souvent un quadrilatère) dans le plan R-X. Cette zone peut être ajustée pour s’adapter aux caractéristiques spécifiques de la ligne protégée.

Caractéristiques principales :

  • Forme ajustable : Contrairement au relais Mho, la zone de protection peut être étirée ou rétrécie indépendamment des conditions de charge.
  • Détection des défauts résistifs : Grâce à sa capacité à couvrir une zone plus large sur l’axe R, il est particulièrement efficace pour les lignes à forte composante résistive, comme les câbles souterrains ou les lignes aériennes courtes.
  • Application : Utilisé pour les lignes complexes où la résistance des défauts peut varier considérablement.

Avantages :

  • Plus grande flexibilité dans le réglage de la zone de protection.
  • Meilleure couverture des défauts résistifs.

Inconvénients :

  • Nécessite une surveillance précise pour éviter des déclenchements intempestifs.
  • Plus complexe à régler que le relais Mho.

2. Fonctionnement Détaillé de la Protection Distance des Lignes Haute Tension

Détection des Défauts

Lors d’un défaut à une distance d, l’impédance mesurée inclut une éventuelle impédance de défaut ( Z_f, ex. : résistance d’arc) :

Z = z \cdot d + Z_f

Le relais compare cette valeur aux seuils prédéfinis de ses zones :

  • Si Z est dans la Zone 1, le défaut est proche, et le disjoncteur associé est immédiatement ouvert.
  • Si Z est dans la Zone 2 ou 3, le relais attend la temporisation prévue, sauf si une autre protection (par exemple, sur une ligne adjacente) agit avant.

Types de Défauts Détectés

Les relais de protection distance des lignes haute tension sont conçus pour identifier divers types de défauts électriques :

  • Défauts phase-terre : Courants circulant vers la terre à travers une impédance résiduelle.
  • Défauts phase-phase : Courts-circuits entre deux phases.(Z_{\text{phase-phase}} = \frac{V_{ab}}{I_a - I_b})
  • Défauts triphasés : Courts-circuits impliquant les trois phases (Z = z \cdot d basé sur la séquence positive).

Pour les défauts phase-terre, une compensation est souvent appliquée via une constante k_0​ (facteur de compensation de la terre) pour ajuster l’impédance mesurée en tenant compte du courant résiduel.

L’impédance ajustée inclut la séquence zéro (Z_0​) via un facteur de compensation k_0​ :

Z_{\text{phase-terre}} = Z + k_0 \cdot Z_0​

3. Communication et Coordination

Dans les réseaux électriques modernes, la coordination entre les protections est cruciale pour garantir une isolation rapide et sélective des défauts tout en évitant des déconnexions inutiles. Les relais de protection distance, bien que efficaces grâce à leurs zones d’impédance, atteignent leurs limites sur les lignes longues ou dans les réseaux interconnectés où les temporisations seules ne suffisent pas à assurer une réponse optimale. C’est ici qu’interviennent les systèmes de communication et de téléprotection, qui permettent aux relais situés aux extrémités d’une ligne (ou entre sous-stations) de collaborer en temps réel.

Principe de la Téléprotection

La téléprotection repose sur l’échange rapide de signaux entre deux ou plusieurs relais via un canal de communication dédié (fibre optique, etc.). Ces signaux informent les relais distants de l’état du réseau ou des actions entreprises, permettant d’accélérer ou de bloquer les déclenchements selon la localisation exacte du défaut. L’objectif est double :

  • Réduire le temps d’isolation des défauts, notamment dans la Zone 2.
  • Améliorer la sélectivité, en évitant que des protections distantes ne réagissent inutilement.

Les relais modernes de protection distance des lignes haute tension, comme les Siemens 7SA ou les ABB REL670, intègrent des modules de téléprotection compatibles avec des normes comme IEC 61850 ou des protocoles propriétaires.

Pour une ligne de longueur L (Z_{\text{total}} = z \cdot L), un défaut à d = L donne Z = Z_{\text{total}}. Sans téléprotection, t_2 = 0,4 \, \text{s}. Avec téléprotection, le temps devient :

t_{\text{télé}} = t_{\text{mesure}} + t_{\text{comm}} < 20 \, \text{ms}

t_{\text{comm}} est la latence du canal (fibre optique, CPL, etc.).

Schémas de Téléprotection Courants

Plusieurs schémas de téléprotection sont utilisés avec les relais de protection distance, chacun adapté à des scénarios spécifiques :

POTT (Permissive Overreach Transfer Trip)

  • Principe : Chaque relais est configuré pour que sa Zone 2 « surplombe » (overreach) la totalité de la ligne protégée. Si un défaut est détecté dans la Zone 2, le relais local envoie un signal permissif à son homologue à l’autre extrémité. Le déclenchement n’a lieu que si les deux relais confirment le défaut dans leurs zones respectives.
  • Mécanisme : Relais A détecte Z dans sa Zone 2 et envoie un signal « Permission » à Relais B. Relais B vérifie si Z est également dans sa Zone 2. Si oui, les deux disjoncteurs s’ouvrent instantanément.
  • Avantage : Déclenchement rapide (souvent < 20 ms avec un canal fiable) pour les défauts internes à la ligne.
  • Limite : Nécessite une communication bidirectionnelle fiable. Une perte de signal peut empêcher le déclenchement.

PUTT (Permissive Underreach Transfer Trip)

  • Principe : La Zone 1 (sous-portée, underreach) est utilisée comme déclencheur. Si un relais détecte un défaut dans sa Zone 1, il ouvre son disjoncteur local et envoie un signal au relais distant pour qu’il déclenche également, même si ce dernier ne « voit » pas le défaut dans sa Zone 1.
  • Mécanisme : Relais A détecte Z dans sa Zone 1 et ouvre son disjoncteur. Un signal « Trip » est envoyé à Relais B, qui déclenche sans condition.
  • Avantage : Simplicité et fiabilité pour les défauts proches d’une extrémité.
  • Limite : Moins sélectif, car le relais distant agit sans vérification locale.

DUTT (Directional Underreach Transfer Trip)

  • Principe : Similaire au PUTT, mais avec une vérification directionnelle. Le relais distant ne déclenche que si le défaut est dans la direction de la ligne protégée.
  • Mécanisme : Relais A (Zone 1) envoie un signal à Relais B. Relais B analyse la direction du courant (via un élément directionnel) avant de déclencher.
  • Avantage : Réduit les déclenchements intempestifs dans des réseaux complexes.
  • Limite : Complexité accrue des réglages directionnels.

Blocking Scheme

  • Principe : Inverse du POTT. Si un relais détecte un défaut extérieur (au-delà de la ligne protégée), il envoie un signal de blocage au relais opposé pour empêcher son déclenchement.
  • Mécanisme : Relais B détecte un défaut dans sa Zone 3 (extérieur) et envoie un signal « Block » à Relais A. Relais A attend la fin de la temporisation si aucun défaut interne n’est confirmé.
  • Avantage : Très sélectif pour les défauts externes.
  • Limite : Une perte de communication peut entraîner un déclenchement retardé.

Technologies de Communication

La performance des schémas de téléprotection dépend fortement du canal de communication :

  • Fibre optique : Offre une latence faible (< 5 ms) et une immunité au bruit électromagnétique. Utilisée dans les réseaux HTB critiques..
  • Power Line Carrier (PLC) : Communication via la ligne électrique elle-même, modulée en haute fréquence (50-500 kHz). Fiable mais limitée en bande passante.

La synchronisation temporelle, souvent assurée par GPS (précision < 1 µs), est essentielle pour aligner les mesures des deux extrémités, notamment dans les réseaux à forte dynamique.

Coordination avec le Réseau

La téléprotection s’inscrit dans une stratégie globale de protection :

  • Coordination avec les zones : La Zone 1 reste autonome (déclenchement instantané), tandis que la Zone 2 s’appuie sur la téléprotection pour réduire les temporisations (ex. : de 0,4 s à 20 ms).
  • Hiérarchie des protections : Les relais de protection distance collaborent avec d’autres systèmes (protections différentielles, surintensité directionnelle) pour couvrir tous les scénarios.
  • Adaptabilité : Dans les réseaux maillés, les réglages tiennent compte des courants d’alimentation multiples (infeed effect), qui modifient l’impédance apparente. Les relais ajustent dynamiquement leurs seuils via des algorithmes adaptatifs.

Défis Techniques

  • Fiabilité du canal : Une interruption de communication (ex. : fibre coupée) peut désactiver la téléprotection, forçant un retour aux temporisations classiques. Solution : Redondance des canaux (ex. : fibre + CPL).
  • Latence : Une latence excessive (> 20 ms) peut compromettre la rapidité. Solution : Tests réguliers et optimisation des protocoles (ex. : GOOSE dans IEC 61850).
  • Sécurité : Les systèmes connectés sont vulnérables aux cyberattaques. Solution : Chiffrement des communications (ex. : IEC 62351).
  • Coordination dans les réseaux complexes : Les courants d’appel ou les défauts à haute impédance peuvent fausser les mesures. Solution : Algorithmes avancés (transformées de Fourier rapide, détection de saturation des TC).

Exemple Technique

Prenons une ligne HTB de 100 km (Z = 10 + j40 \, \Omega) avec un schéma POTT :

  • Relais A et B ont une Zone 1 à 80 % (8 + j32 \, \Omega) et une Zone 2 à 120 % (12 + j48\, \Omega).
  • Un défaut survient à 90 km (Z_A = 9 + j36 \, \Omega, Z_B = 1 + j4 \, \Omega ).
  • Relais A voit le défaut dans sa Zone 2 et envoie un signal à Relais B.
  • Relais B, voyant Z dans sa Zone 1, confirme le défaut. Les deux disjoncteurs s’ouvrent en 15 ms via fibre optique, contre 0,4 s sans téléprotection.

La communication et la coordination transforment les relais de protection distance des lignes haute tension en outils ultra-rapides et sélectifs, indispensables aux réseaux modernes. Les schémas comme POTT ou DUTT, combinés à des technologies avancées (fibre, GPS), permettent de surmonter les limites des temporisations traditionnelles. Cependant, leur efficacité repose sur une infrastructure robuste et des réglages précis, faisant de la téléprotection un domaine où l’ingénierie électrique atteint des sommets de complexité et de performance.

4. Réglages des Relais de Protection Distance

Configurer un relais de distance nécessite une analyse précise du réseau et des caractéristiques de la ligne protégée.

Impédance de la Ligne

L’impédance de base est calculée à partir des données de la ligne :

  • Résistance (R) : Dépend de la longueur et de la section des conducteurs (en Ω/km).
  • Réactance (X) : Liée à l’inductance de la ligne, influencée par la distance entre conducteurs et la fréquence (50 ou 60 Hz).
  • Exemple : Une ligne de 200 km avec R = 0,1 \, \Omega/km et X = 0,3 \, \Omega/km a une impédance totale de Z = 20 + j60 \, \Omega.

Réglages des Zones

  • Zone 1 : Réglée à 80 % de Z total (ex. : 16 + j48 \, \Omega) pour éviter un déclenchement intempestif dû à des erreurs de mesure ou à des arcs résistifs.
  • Zone 2 : Réglée à 120-150 % de  Z  (ex. : 24 + j72 \, \Omega), avec une temporisation de 0,4 s.
  • Zone 3 : Peut atteindre 200-300 % de  Z , selon le réseau.

Facteurs Influençant les Réglages

  • Charge nominale : Une ligne fortement chargée peut modifier l’impédance apparente, risquant un déclenchement indésirable.
  • Résistance de défaut : Les arcs électriques ou les défauts à haute impédance (branches d’arbres, par exemple) compliquent la détection.
  • Coordination : Les temporisations doivent être alignées avec les protections voisines pour éviter des déconnexions inutiles.

5. Avantages des Relais de Distance

  • Sélectivité : Ils localisent précisément le défaut, limitant l’impact sur le réseau.
  • Rapidité : Le déclenchement instantané en Zone 1 réduit les dommages aux équipements.
  • Flexibilité : Adaptés à des lignes de longueurs et tensions variées.
  • Fiabilité : Moins sensibles aux variations de courant que les protections par surintensité.

6. Limites et Défis

Malgré leurs atouts, les relais de protection distance présentent des faiblesses :

  • Sensibilité aux arcs résistifs : Un défaut avec une forte résistance (ex. : chute d’un arbre) peut sortir de la zone de détection.
  • Effet de charge : Une ligne très chargée peut fausser l’impédance mesurée, risquant un déclenchement intempestif.
  • Coordination complexe : Dans des réseaux maillés, ajuster les zones et temporisations demande une expertise poussée.
  • Coût : Les relais numériques modernes (Siemens 7SA, ABB REL670, etc.) et leurs systèmes de téléprotection sont onéreux.

Conclusion

Les relais de protection distance des lignes haute tension sont un pilier des réseaux électriques modernes, combinant précision, rapidité et sélectivité pour protéger les lignes de transport. Leur capacité à « voir » la distance d’un défaut en fait un outil incontournable, malgré les défis liés à leur réglage et à leur sensibilité aux conditions extérieures. Avec l’essor des réseaux intelligents et des énergies renouvelables, leur rôle ne cesse de croître, soutenu par des avancées technologiques qui les rendent encore plus performants. Pour les ingénieurs et exploitants, maîtriser ces dispositifs reste un art autant qu’une science, au cœur de la résilience énergétique mondiale.

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